Deux élèves de Malraux pour le Prix la Mémoire et du Civisme André Maginot

En contrepartie de la subvention accordée par la Fédération Maginot pour le voyage à Neuengamme - Bergen Belsen,, deux élèves du lycée Malraux ont proposé chacune un texte  pour le Prix National de la Mémoire et du Civisme André Maginot

Voici le texte de Gaëlle Dubois:

Du 5 au 9 avril 2019,  j’ai eu l’opportunité de voyager en Allemagne, près de Hambourg, pour visiter deux camps de concentration : Neuengamme et Bergen-Belsen. Je suis partie grâce à mon lycée, mais aussi grâce à l’AERIS (Association pour les Études sur la Résistance Intérieure en Sarthe). Ce voyage se basait sur le volontariat, c’est pourquoi, avant de partir, nous avons dû rédiger une lettre de motivation. J’étais très déterminée à visiter ces camps, car le devoir de mémoire était important pour moi : je considère que le passé est nécessaire au présent et que se souvenir permet de retenir les actes à ne pas commettre. L’Histoire en elle-même est très importante à mon avis, au même titre que le devoir de mémoire.
Nous sommes trente, quinze de mon lycée et quinze d’un autre établissement, à être partis et à avoir vu de nos propres yeux les restes de l’horreur.

Le dimanche 7 avril, le premier site que nous sommes allés visiter est le parc-mémorial de Bullenhuser Damm. Ce lieu a une histoire particulière : il a été le théâtre de la souffrance de vingt enfants juifs. Ils furent déportés à Auschwitz, transférés à Neuengamme et enfin massacrés dans l’école de Bullenhuser Damm. Ces dix fillettes et ces dix garçons ont été utilisés comme cobayes pour les expériences d’un médecin SS dans une annexe du camp de Neuengamme. Vers la fin de la guerre, à cause
de l’approche des Alliés et pour effacer toute trace des sordides expériences, les vingt enfants furent transférés dans l’école
pour y être assassinés, le 20 avril 1945. Deux médecins français déportés, deux hollandais qui prenaient soin des enfants à Neuengamme et vingt-quatre prisonniers russes subirent le même sort. Les enfants avaient d’abord été drogués à la morphine, puis ils furent pendus dans le sous-sol du bâtiment.

Nous sommes entrés dans ce lieu sinistre. Nous avons lu les biographies des enfants et des médecins. Nous avons tous été profondément choqués. Mon cerveau n’a pas pu s’empêcher d’imaginer les corps, tout comme mes larmes n’ont pas pu s’empêcher de couler. Cet endroit dramatique transpire encore l’horreur du crime commis. Comment peut-on tuer des enfants ?
Même plusieurs
semaines après le voyage, je continue à me poser la question. Comment peut-on être cruel à ce point ? Je ne trouve aucune réponse. Je me souviens de chaque détail du sous-sol, du musée, du mémorial, de l’école. Je me souviens de l’atmosphère qui régnait à cet endroit : solennelle et émouvante pour le jardin-mémorial, terrifiante et glaçante pour le sous-sol. Cette visite est celle qui m’a le plus marquée au cours du voyage. Voir les choses dans leur ensemble est une chose déjà difficile, mais voir et même presque ressentir les événements dans leurs détails les plus tragiques en est une autre, bien plus insupportable. Tout dans cette visite m’a choquée : les faits, évidemment pour leur monstruosité, mais aussi la découverte si tardive du destin des enfants de Bullenhuser Damm ou encore l’apparence tellement banale de l’école. Je me suis demandé si, en passant devant le bâtiment, je me serais doutée, même d’une infime partie des crimes commis en ce lieu. J’ai réalisé qu’il était impossible d’imaginer ce genre d’horreur.
J’ai aussi été offusquée par la présence d’une croix gammée taguée non loin de l’école et je ne comprends
pas comment quelqu’un a pu être assez insensé pour perpétrer un tel acte. Cette visite est désormais gravée dans ma mémoire, tout comme celle de Neuengamme.

L’après-midi, nous nous sommes dirigés vers ce camp de concentration. Il a été établi dès décembre 1938, près de l’Elbe. D’abord considéré comme un camp extérieur à celui de Sachsenhausen, il est devenu indépendant en 1940. Neuengamme était un camp de travail : les déportés y étaient répartis en kommandos (unités de travail forcé) qui s’affairaient à des besognes assez variées. Certaines de ces tâches se déroulaient dans le camp même, notamment à la briqueterie. Celle-ci occupait sur place de nombreux déportés. Il fallait d’abord récolter la glaise, puis l’acheminer, transport assuré par le peu de force des déportés, ensuite
l’amener dans l’usine en montant une rampe très pentue. Une fois dans le bâtiment, l’argile tombait dans des malaxeurs géants. Les détenus devaient fabriquer les briques dans des moules, puis les cuire à l’aide d’immenses fours: un travail dangereux et éreintant.

Les nazis ont aussi créé un port à Neuengamme pour transporter les briques vers Hambourg. Ils ont donc décidé d’utiliser les déportés pour agrandir un bras de l’Elbe en créant un canal pour relier le camp. Ce travail, lui aussi, était extrêmement dangereux et fatigant, d’autant plus que les coulées de boue des berges étaient fréquentes. Nos accompagnants nous ont aussi longuement parlé de l’omniprésence de la violence, de la dureté des privations, du cruel appel ou encore des baraquements insalubres. À la lumière de tous les détails qui nous été racontés, j’ai véritablement compris que la destruction des déportés dans les camps était
autant physique que psychologique. Il était très difficile de réaliser l’horreur de l’histoire de ce bagne car lorsque nous l’avons visité, le camp était ensoleillé, vert, paisible, presque affreusement agréable. Les faits racontés par nos guides ne correspondaient pas totalement avec ce que je voyais. Il fallait vraiment faire un effort d’imagination important pour entrer en relation avec le passé si terrible de ce territoire désincarné.

Après avoir visité le camp, nous nous sommes rendus au mémorial attenant, qui se compose d’une sculpture de déporté agonisant, de plaques commémoratives de différents pays et d’une haute construction évoquant une cheminée. Nous y avons
fait une cérémonie, où nous avons lu, chacun
à notre tour, le nom de tous les déportés sarthois disparus à Neuengamme, puis
différents discours ont été prononcés. Cette cérémonie était magnifique et très émouvante car sublimée par le Chant des Marais.
Ce moment était très
solennel et il m’a fait me sentir impliquée, active, dans ce voyage et dans le travail de souvenir. Cette commémoration m’a permis de comprendre l’importance d’avoir des lieux de recueillement sur ce site. En effet, après la libération du camp, une prison y a été construite et les premiers mémoriaux n’ont pu être installés qu’en 1953 suite à l’insistance des déportés survivants. Je pense que de tels lieux de mémoire sont nécessaires et fondamentaux parce qu’ils participent au souvenir et permettent aux anciens déportés, à leurs familles, à leurs descendants de se recueillir. Cette cérémonie et ce constat ont clos
la première journée du voyage. L’émotion était à son comble et après quelques heures de réflexion personnelle, nous avons éprouvé le besoin d’en reparler entre nous.

Le lendemain, nous nous sommes rendus à Bergen-Belsen. Ce camp était officiellement un camp de concentration, mais il était aussi appelé « camp de repos », pour les déportés ne pouvant plus travailler. Un grand nombre de déportés jugés inaptes provenaient d’Auschwitz, de Dora  ou de Buchenwald. Cet immense espace, dissimulé dans la forêt, était en réalité un véritable mouroir : diffuseur efficace de maladies mortelles en tout genre telles que la dysenterie, la tuberculose ou le typhus. Le matin, nous avons fait le tour du camp parmi les tumulus, accompagnés de nos guides de l’AERIS, qui nous expliquaient le fonctionnement du camp. Notre parcours s’est terminé au mémorial, où nous avons lu les plaques et observé l’obélisque. L’après-midi, nous avons visité le musée et vu des images ainsi que des vidéos très fortes qui restent à jamais imprimées dans nos mémoires. Ces documents, de la libération du camp en avril 1945, nous ont permis de mieux comprendre la lande un peu déserte que nous avions parcourue le matin.

Avec quelques amis, nous nous sommes ensuite rendus au mémorial d’Anne Frank présent sur le camp. Ce lieu est beau ; il inspire le respect et le silence. Pendant quinze minutes, nous sommes juste restés assis, les pensées vidées, sans oser prononcer un seul mot, l’émotion présente. Dans le mémorial, j’ai trouvé qu’une paix presque palpable régnait, renforcée par les mots et les pierres déposées sur l’autel. Nous avons nous aussi laissé un mot sur cet autel, pour marquer notre sympathie et imprimer momentanément notre passage sur le lieu. Nous nous sommes aussi recueillis sur la tombe d’Anne et Margot Frank, ce qui nous a aussi beaucoup émus étant donné que nous avions tous lu le Journal d’Anne Frank. Ces moments étaient apaisants et inspiraient la tolérance. Cette méditation fut d’ailleurs l’un des plus beaux moments de la journée.

Pendant la  visite de ce camp, un détail m’a horrifiée : le calme et la beauté de cet immense cimetière invisible. Nous avons erré
dans les allées, la bruyère à peine fleurie verdoyant sous le soleil, une légère brise agitait les feuilles des bouleaux où les
oiseaux chantaient
. L’atmosphère était à mille lieues de l’Histoire. Comme pour l’école de Bullenhuser Damm, sans connaître le passé du lieu, je n’aurais jamais pu deviner un millième de l’horreur des actes commis. Et si dans mille ans les massacres sont oubliés alors des personnes viendront innocemment sur ce site. Quelle tragédie, point final, dernière horreur dans l’abject ! Je
refuse de prendre en compte cette possibilité. Je refuse que l’histoire soit oubliée, qu’elle ne puisse plus servir de leçon.

C’est face à ce constat que ma volonté de faire passer, moi aussi, cette mémoire m’est apparue. Je ne veux plus seulement écouter les récits, j’ai envie, et même besoin, de faire passer ce savoir à mon tour. Je suis terrifiée à l’idée que l’être humain puisse oublier ce qu’il a fait, il est important de se rappeler ce que nos ancêtres ont subi ou laissé faire. L’extermination doit servir de leçon, elle doit nous montrer ce que nous avons permis, consciemment ou non. Faire passer ce savoir, c’est faire barrage à ceux qui voudraient que cela recommence, c’est informer les générations futures de ce que l’humain a été capable de faire. Si nous avons été capables de commettre de tels actes une fois, nous en serons capables à nouveau. Il est de notre devoir d’empêcher cet oubli ou au moins de le limiter, de le retarder au maximum. J’avais déjà cette volonté avant le voyage, mais elle
s’est confirmée et renforcée. Ce voyage a été pour moi un véritable apprentissage, un tournant dans ma vie. J’ai appris aux côtés de personnes formidables qui ont réussi leur mission de nous
« passer leur mémoire ». Je veux à mon tour transmettre cette mémoire pour que mes peurs ne s’approchent jamais de la réalité. Nous sommes les héritiers de la mémoire, nous devons brandir notre savoir en flambeau pour éclairer les instants difficiles que le Monde va certainement connaître. Il est de notre devoir de devenir à notre tour « ambassadeurs de la mémoire », de prendre la torche et d’ouvrir aux futures générations la voie vers un avenir meilleur.

 Et voici le texte de Swann Fadel:

J’avais dix-sept ans à peine lorsque je me suis lancée dans cette aventure extraordinaire : découvrir concrètement l’univers de la Déportation. Une expérience que malheureusement d’autres jeunes de mon âge avaient douloureusement vécue bien avant moi, et surtout contre leur volonté. Je me doutais bien que cette expérience que je m'apprêtais à vivre serait très différente de la leur.Je n’y allais pas du tout dans les mêmes conditions qu’eux puisque ce voyage était proposé par mon professeur d’Histoire à 15 lycéens sélectionnés sur leur motivation.Tout en redoutant un peu le choc psychologique, je souhaitais vivre ce voyage dans le temps et dans l’espace avec l’envie d'accroître mon savoir sur cette période sombre de notre histoire. Mais quelles horreurs allais-je connaître ? Quelles images devrais-je affronter ? Quels éléments marqueraient à tout jamais ma sensibilité et mes réflexions ?

Cette histoire je la connaissais globalement. Primo Levi, Ida Grinspan, Henri Borlant et d’autres encore m’en avaient enseigné quelques rudiments à travers leurs précieux témoignages. Cette histoire obscure et terrible ne m’était pas inconnue,mais pourtant je n’arrivais pas à m’imaginer ce que j’allais voir à Neuengamme et à Bergen-Belsen. La plupart des témoignages que j’avais lus concernaient des déportés du camp d’extermination d’Auschwitz
qui fut bien-sûr l’un des théâtres des plus grandes tragédies conçues et réalisées en ce monde. Par contre, je n’avais guère entendu parler des camps de concentration avant de m'engager dans ce parcours mémoriel.

J’ai ainsi appris que Neuengamme était un camp de concentration situé au Nord de l’Allemagne, à proximité de Hambourg, sur les bords de l’Elbe. Dans ce camp les prisonniers travaillaient surtout dans une usine de briques et également pour de l’armement. Quant à Bergen-Belsen, Anne Frank y était morte, comme trente-cinq milleautres personnes, au moment de l’avancée des Alliés, au printemps 1945. Beaucoup de prisonniers venant d'Auschwitz avaient comme elle été transférés dans ce bagne démuni de tout. Ce surpeuplement avait inévitablement conduit à une mortalité effroyable. Je soupçonnais ce que les victimes de cette expérience concentrationnaire avaient vécu même si toutes les émotions ne pouvaient être transmises à travers leurs ouvrages de survivants. Par contre, je ne pouvais pas savoir ce que j’allais ressentir, moi, lycéenne de dix-sept ans, au sein de ces deux lieux chargés
d’histoire, portant le poids d’événements horribles. Donc, je me suis lancée dans cette aventure pleine d’espoir, l’espoir de comprendre comment une telle chose avait pu arriver, comprendre aussi comment les déportés qui s’en étaient sortis avaient pu se reconstruire après ces épreuves, comprendre enfin où ils avaient puisé le courage nécessaire à leur survie.

Le dimanche 7 avril , je suis partie en autocar de notre hôtel à Hambourg avec mes camarades pour visiter le camp de Neuengamme. Or, le premier arrêt que nous avons fait, à Bullenhuser Damm,est celui qui m’a le plus marqué. J’ai en premier lieu été surprise par la proximité du bâtiment avec la ville. Les bassins du port étaient encore tout proches. Les voitures circulaient tout près de nous et je me disais que ce camp de concentration était très près de la ville. Je pensais être arrivée à Neuengamme. La guide nous expliqua alors où nous étions : devant une école. Ce grand bâtiment de briques rouges a été le cadre, le 20 avril 1945, de l’assassinat de vingt enfants âgés de cinq à douze ans.  Ces dix filles et ces dix garçons avaient été séparés de leur famille à Auschwitz et avaient été emmenés à Neuengamme. Là, dans une infirmerie réservée, ils avaient subi les pires expériences médicales. Le médecin SS Kurt Heissmeyer leur avait inoculé la tuberculose en leur enfonçant un tuyau dans les poumons, leur avait retiré les ganglions lymphatiques et observait leurs réactions face à la maladie. Ces pauvres enfants ont subi ce qu’aucune personne ne devrait subir en une vie entière et pourtant leur existence s’est résumée à ces brèves journées de souffrance. En effet, les Alliés approchant, ces « cobayes » ont été discrètement assassinés pendant la nuit pour effacer les preuves, pour que personne ne connaissent les pires horreurs dont certains êtres humains sont capables. Leur seul « crime » avait été d’être juif, d'avoir été déporté à Auschwitz, d’avoir été choisi pour réaliser de cruelles expériences sur eux et d’avoir survécu à tout cela. Cette école était à l’époque isolée dans un champ de ruines. Il y avait eu d’intenses bombardements dans la zone portuaire d’Hambourg ayant coûté la vie à 45 000 personnes. Seule l’école était restée debout et c’est la raison pour laquelle elle fut choisie comme lieu idéal pour faire disparaître les enfants et quelques témoins gênants.

J’aimerais devenir médecin pour aider les autres, les soigner. Mon rêve le plus cher serait de voir le sourire infini qu’une famille pourrait m’offrir une fois que j’aurais réussi à sauver l’un de ses membres. Je veux devenir médecin pour sauver des vies, répandre la joie et le soulagement. Un médecin est censé aider les personnes en
détresse, les guérir et leur permettre de se remettre. Là-bas les enfants avaient subi des expériences pseudo-médicales réalisées par un criminel qui prétendait faire des recherches. Comment un médecin qui avait fait serment d'aider les gens, a-t-il pu réaliser des expériences aussi monstrueuses sur des enfants ? Comment cet horrible individu a-t-il pu faire souffrir à ce point des êtres innocents ? De plus, on nous apprend que ce sinistre nazi n’a pas été puni pour sa barbarie. Il est retourné tranquillement vivre sa vie à Magdebourg en tant que pneumologue après avoir réalisé ces horribles forfaits. Heureusement, des déportés l’ont reconnu et l’ont  dénoncé. Emprisonné en 1963, il fut jugé en 1966 et ce n’est qu’à ce moment-là, vingt-et-une années plus tard que les familles ont appris ce qui était arrivé à leurs enfants.

J’imagine la douleur que les parents survivants ont dû ressentir. Ces parents n’avaient jamais perdu espoir, ils avaient connu les pires atrocités dans les camps et savaient que leur enfants en avaient sûrement vécu aussi. Ils avaient attendu si longtemps avant de connaître le sort qu’avaient subi leurs enfants, plus de vingt ans de peine, de douleur et finalement d’espoir brisé. Le rêve de les retrouver un jour vivants ne s’est jamais réalisé. Toutes leurs
recherches, tous leurs efforts étaient vains. Mais, pouvaient-ils imaginer qu’on puisse les assassiner, les pendre ? Ce
n’étaient que des enfants…

Je suis une personne très émotive, je pleure devant les films et à la fin des livres. Je m’imagine aussi facilement les choses, ce qui fait que lorsqu’on me raconte une histoire je me l’imagine instantanément et il m’est donc possible de pleurer si celle-ci m’attriste. Or lorsque je suis rentrée dans cette cave maudite, lorsque j’ai vu la tuyauterie, où avaient été pendus les enfants, je n’ai pas pleuré. Je me suis repliée dans une sorte de carapace. Les personnes qui me connaissaient et qui étaient présentes en étaient d’ailleurs surprises. Moi qui pleure même à
la fin d’un livre fantastique, ne pleurais pas dans ce sous-sol de malheur. Je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas pleurer, car je n’arrivais pas à m’imaginer que de telles horreurs avaient été réalisées ici. Je ne pouvais pas percevoir ces enfants pendus comme de vulgaires marionnettes de chiffon à la tuyauterie. Cette scène était pour moi insoutenable, inimaginable, impossible, inhumaine. Je ne comprenais pas comment des personnes avaient pu un jour assassiner des enfants….. des enfants de moins de treize ans, certains n’avaient que cinq ans. Ils avaient dans un premier temps essayé de les endormir avec de la morphine, beaucoup sont partis, mais certains se sont réveillés. Ils ont alors décidé de les pendre à des crochets. Pendus “comme des toiles au mur” disaient-t-ils. Les toiles de l'horreur! Ces hommes ne pouvaient être des humains, ils ne pouvaient avoir de coeur. C’étaient tout simplement des
monstres froids, d’une grande bestialité.

J’ai commencé à comprendre que chacun des témoignages que j’avais lus ne m’avaient pas vraiment préparée à cela, à voir de telles horreurs : à admettre la vérité sur l’expérience concentrationnaire de la Seconde Guerre mondiale. Je m’imaginais avant le voyage que les lieux allaient me submerger d’émotions, me transmettre ce que les déportés avaient vécu et ressenti. Je me suis vite rendu compte que cela était impossible, on ne peut pas
ressentir les émotions de ces pauvres personnes, leur douleur était trop forte, au-delà de notre imagination. Pour comprendre, il me faudra du recul et encore de la réflexion.

J’ai été très surprise en arrivant ensuite aux deux camps de voir que tout ou presque avait disparu. A Neuengamme, il ne restait plus que les bâtiments d’administration et la briquèterie. J’en étais en un premier temps déçue, je pensais que sans les constructions, je ne pouvais pas en apprendre davantage sur les camps que ce que les témoignages m’avaient déjà apporté. Et cela a été le cas à Neuengamme. Notre guide nous a conté l'expérience vécue par les déportés et elle ne différait que très peu avec les témoignages que j’avais lus. Il est vrai que la vue du canal et de la briquèterie, où les déportés trimaient, était plus impressionnante. Nous avons vu à quel point les SS voulaient détruire les déportés, ils les faisaient creuser le canal gelé en plein hiver. L’espérance de vie n’était que de deux mois. Ils leur faisaient sortir les briques à mains nues des fours. Ils faisaient transporter des tonnes de glaise à des déportés qui ne pesaient pas plus de quarante kilogrammes. Et pour compléter cette barbarie, ils nommaient des déportés kapos pour qu’ils maintiennent l’ordre à leur place, pour que les déportés se détruisent entre eux, tant qu’ils le pouvaient encore… Les déportés affamés survivaient dans ces blocs nauséabonds, frappés, humiliés, détruits. Ils étaient promis à la mort et pourtant certains ont survécu. Je pense que la fraternité y était pour beaucoup. L’espoir né de l’entraide était immense dans les camps malgré la surveillance des kapos. Cependant je n’arrivais toujours pas à comprendre après la visite de ce camp comment certains déportés avaient réussi à garder espoir et à survivre
dans cet univers apocalyptique.

Le lendemain, Bergen-Belsen m’a surpris d’autant plus. Il n’y avait plus rien à voir au premier abord, et pourtant, c’est de loin celui des deux camps qui m’a le plus ému. Sur la lande de bouleaux, il ne restait que des monticules sableux sous lesquels reposaient les corps des déportés. “Ici reposent 1 000 morts”, “Ici reposent 3 000 morts”, “Ici reposent 5 000 morts”, cela ne s'arrêtait pas ! Comment était-il possible qu’il y ait tant de cadavres sous ces tumulus? Je l’ai compris en voyant ensuite les images et les films d’époque au musée. Bergen-Belsen était un camp dit “de repos”. Nous appelions cela un mouroir. Pire sans doute que les bagnes de travaux forcés, un camp où les SS laissaient périr les déportés. Ils les abandonnaient là sans espoir, sans nourriture, dans des locaux
insalubres. Ils étaient entourés de moribonds, de tas de cadavres. Lorsque les soldats britanniques sont arrivés à Bergen-Belsen, le 15 avril 1945, ils n'arrivaient pas à en croire leurs yeux. Un spectacle infâme, horrible, de corps enchevêtrés et d’immondices  se présentait à eux. Ils n'arrivaient même pas à décrire ce qu'ils voyaient, ils ont dû le photographier, le filmer. Et ces images troublent encore mes pensées et mes nuits. Les tas de cadavres qui étaient jetés dans de gigantesques fosses, transportés à dos d'hommes, dans des charrettes, poussés parfois par des
bulldozers. Ces corps meurtris, amaigris par la faim qui avaient subi tant de violences, ont fini de la même manière. On les a jetés dans une fosse, recouverts de chaux vive, sans compassion, sans émotion : le travail à la chaîne de cette usine de la mort. Les baraques ont ensuite toutes été brûlées pour arrêter l’épidémie de typhus qui ravageait les lieux depuis des mois…

Ainsi, ce voyage m'a beaucoup appris en quelques jours sur les comportements humains et notamment sur les violences qu'un Homme peut faire subir à un autre Homme. Je ne comprends toujours pas comment ces déportés ont réussi à survivre, à garder espoir dans ce monde absurde. Et je ne sais pas comment, si seulement c'est
possible, les survivants ont pu se reconstruire après cette expérience totalement déshumanisante. Mon professeur d'histoire nous avait dit avant le voyage: “nous ne sommes pas le même avant et après avoir visité un camp”. Je comprends aujourd'hui ce qu'il entendait par là. Nous ne sommes plus les mêmes, nous avons seulement vu quelques horreurs endurées par les déportés, nous avons imaginé ce qu'ils ont pu ressentir, nous avons parfois pleuré devant ce spectacle infâme et maintenant, nous allons faire perdurer leur mémoire à jamais. Nous voulons que tout le monde se souvienne de cette horreur et que jamais celle-ci ne puisse se reproduire.

A travers ce petit mémoire, je voudrais remercier toutes les personnes qui m’ont permis de réaliser ce voyage, celui qui m'a changé à tout jamais. Je remercie mon professeur d'Histoire M.Mokrani qui nous a fait partager sur place, très concrètement, sa passion pour l'Histoire et qui la partage tous les jours avec nous à travers ses cours. Je n’oublie pas la Fédération Nationale André Maginot pour son soutien financier qui nous a permis de réaliser ce
fabuleux voyage. Je remercie aussi l’AERIS sans laquelle ce voyage n'aurait pas existé et tout particulièrement M. Éric Goisedieu, Yves Voisin et Joseph Estevès pour leurs histoires sur les camps, pour leurs explications détaillées lors des visites, pour leur gentillesse et pour leur combat visant à diffuser la mémoire des déportés. Ce voyage n'a duré que quatre jours ; je n’ai côtoyé ces personnes que peu de temps et pourtant je ne les oublierai pas, je n'oublierai rien de ce qu’ils m’ont fait découvrir sur cet univers sinistre et sur moi-même.