Jean Villeret, l'éternel combattant
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(Le Mans, 30 novembre 2017) Si Jean Villeret a un défaut, ce n'est pas celui d'avoir la langue dans la poche. Héritage d'un titi parisien? Pas peur des mots en tout cas, au risque de susciter des haut-le-corps chez les anciens collabos et résistants de la dernière heure. "Quel est le c... qui a dit un jour Pardonne mais n'oublie pas?" clame-t-il. "Moi je ne pardonne pas, comment on peut pardonner ça?"
Deux heures durant, dans l'amphithéâtre du lycée Gabriel-Touchard, il a essayé de faire comprendre à 125 jeunes que la liberté ne se gagne pas en restant les mains dans les poches. "Vous devrez vous battre pour la garder!" Et qu' "une maladie, c'est tout de suite qu'il faut la combattre". "Si dès le début on n'avait pas laissé faire les nazis, il n'y aurait pas eu les millions de morts que l'on sait. La guerre, ce n'est pas quelque chose d'humain"
S'il a résisté, même pendant sa déportation, Jean Villeret ne veut surtout pas être qualifié de "héros". "Non, les résistants ne sont pas des héros, on a simplement fait ce qu'on a pu avec les moyens qu'on avait"
Né en 1922 à Mohon, ancienne commune des Ardennes devenue quartier de Charleville-Mezières, Jean Villeret connait l'exode de juin 1940 puis le retour vers Paris le mois suivant. Il a 20 ans en 1942 et il n'écoute pas la propagande de Vichy qui incite les Français à aller travailler en Allemagne. A Paris, il travaille comme tourneur dans une usine de machines à emboutir et il préfère la voix de De Gaulle qui appelle à résister depuis l'Afrique du Nord. Le 5 novembre 1942, il passe la ligne de démarcation pour rejoindre la partie de la France encore en zone libre pour quelques jours. Car après le débarquement anglo-américain au Maroc et en Algerie, le 8 novembre, toute la France est occupée. Adieu, pour Jean, le projet d'Afrique du Nord.
Arrêté à Creteil
En janvier 1943, alors que les autorités allemandes le convoquent pour aller travailler en Allemagne, il fuit dans le Perigord, mais avec l'instauration du STO, il est enjoint de partir outre-Rhin pour travailler pour l'Occupant. Nouvelle fuite. Il rentre chez lui, à Maisons Alfort. Réfractaire au STO, il rejoint la Résistance, au sein d'un groupe FTP. Mais le 31 janvier 1944 il est arrêté par la Brigade Spéciale de la préfecture de police, à Créteil. Commence alors un long
calvaire
Emprisonné à Fresnes, il subit les interrogatoires de la Gestapo dans les sinistres locaux de la rue des Saussaies. En mai 1944, huit de ses camarades FTP sont fusillés au Mont Valerien. Le reste du groupe est embarqué le 7 juillet dans un train gardé par des SS. Après trois jours de trajet, sans boire ni manger, pensant qu'il est emmené pour
travailler en Allemagne, il parvient au camp du Struthof.
On l'affuble de vêtements civils, avec dans le dos deux gros "N": Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard). Traduction: detenu devant disparaître sans laisser de trace. Il porte un triangle rouge sur la poitrine et n'est plus qu'un numéro, 19410.
"J'avais 21 ans. J'ai été traité pire qu'un animal, car les chiens des SS du camp, eux, étaient bien nourris. Je me couchais le soir, j'avais faim, et je me réveillais le matin, j'avais faim. J'en ai vus tomber, arrivés au bout. Ils tombaient brusquement comme ça, en avant, comme s'ils allaient faire leur prière, on les appelait les musulmans"
Le 4 septembre 1944, devant l'avancée des Alliés, le Struthof est évacué. Les détenus sont embarqués dans des wagons à bestiaux, direction Dachau. Vêtu du costume rayé qui lui fait penser "aux Pieds Nickelés", Jean est
affecté au kommando d'Allach, les usines BMW. Les conditions de travail sont épouvantables, les détenus sont ici des morts en sursis. "Ce qui m'a sauvé, dit-il, c'est que je travaillais comme metallo dans un hall, à l'abri"
Deux pantalons rayés, et ma peau
Retransféré à Dachau fin janvier 1945, il souffre d'un phlegmon à la gorge et du typhus. "J'étais au bout du rouleau quand les Américains nous ont libérés, le 29 avril"
"Vous avez ramené des objets? " lui a demandé un lycéen. "Deux pantalons rayés, et ma peau" a répondu Jean. "Par contre, dans ma tête, il y a toujours tout ce que j'ai vu. Comment j'ai tenu bon? Parce qu'il y avait de la camaraderie, de la solidarité. Et puis, on était des résistants!"
Jean ne se plaint pas. Jamais. Sa vie, il l'a tellement souvent racontée, à chaque fois qu'on lui demandait de rencontrer des jeunes, que c'est devenu une habitude. "Et puis, c'est réconfortant de parler à des jeunes, vous êtes l'avenir de la nation, j'ai confiance en vous. Vous dire que partout dans les pays occupés des hommes et des femmes ont lutté contre les nazis, ce n'est pas un devoir de mémoire, c'est simplement le combat que je mène aujourd'hui, pour un monde meilleur"
Après sa libération, Jean Villeret s'est reconstruit. Toujours cet esprit de combattant. Veuf, il s'est même remarié à l'âge de...90 ans. "Parce que je ne suis pas un ermite, j'ai besoin de contacts humains, d'une vie de famille". Il s'est découvert une passion pour le golf et pour internet. "Quand il est sur son ordinateur, dit sa femme, il ne decolle plus".
"J'avais commencé à rédiger mes mémoires" nous confie-t-il. "J'ai alors découvert un jeu vidéo, j'y passais la moitié de mes nuits..."
Philippe LAVERGNE