Joe Huter, le Manceau américain, n'est plus

Joseph Huter, fils d'un sergent américain passé au Mans le 8 août 1944, est décédé vendredi 22 novembre à l'âge de 73 ans. Cet ancien sapeur-pompier plongeur professionnel vouait une admiration extraordinaire à un père qu'il navait connu que quelques mois. En 2011, il avait succédé à Jean-Jacques Auduc en tant que délégué départemental honoraire de l'association des anciens combattants franco-américains.

 

Joseph Huter sur la tombe de son père au cimetière de l'Ouest, au Mans (photo Monique Caffieri)

 

Joseph préférait qu'on l'appelle Joe. Parce que ça sonnait américain. Et américain, il s'y sentait complètement. Je l'avais rencontré à plusieurs reprises, à l'occasion des anniversaires de la libération du Mans, quelques jours avant le 8 août. A chaque fois, il me parlait de son père qu'il admirait, même s'il l'avait bien peu connu.

Robert William Huter, originaire de Chicago, avait posé le pied sur le sol de France le 2 août 1944 à Utah Beach, avec la 80e division d'infanterie US en même temps que la 2e DB française commandé par Leclerc. Le sergent de 31 ans appartenait au 317e RI qui allait faire escale dans la caserne du 117e au Mans le soir du 8 août, alors que la ville avait été libérée par la 79e division. Dans les quartiers en liesse, Robert s'était trouvé à trinquer avec une jeune Mancelle, Marie-Thérèse Paris. Il ne le savait pas encore, mais il venait de rencontrer sa future femme, et la mère de Joseph.

Robert était reparti le lendemain avec son régiment à Sillé-le-Guillaume, où par le plus grand des hasards il avait revu la jeune fille. Là encore pour quelques instants, car le 317e RI montait sur la poche de Falaise où les Allemands se trouvaient pris au piège après la contre-attaque de Mortain. Après les terribles combats que l'on sait, le régiment de Robert avait regagné Sillé-le-Guillaume où le soldat devait revoir Marie-Thérèse une nouvelle fois, avant de repartir vers Chartres et Paris.

Au cours des brèves permissions de Robert, les amoureux se reverront encore quelquefois jusqu'aux combats des Ardennes pendant l'hiver 44-45 où la division américaine est engagée à Bastogne.

A l'issue de la guerre, Robert, qui s'était réengagé pour trois ans, épousait Marie-Thérèse le 24 juin 1947. Joseph naissait l'année suivante.

"Avec mon père, nous avons vécu un an à Liège", m'avait raconté Joe. "Un an, l'âge que j'avais lorsqu'il s'est tué dans un accident de Jeep en Belgique, le 8 septembre 1947. Dire qu'il n'avait jamais été blessé de toute la guerre!" C'était dix jours avant que Marie-Thérèse et son fils embarquent au Havre pour les Etats Unis où ils devaient s'installer.

Joe m'avait alors montré un briquet, une plaque d'identité, des médailles, le mini dictionnaire anglo-français que les GI portaient dans une poche de leur veste, des lettres, quelques photos... Des traces de l'existence de son père qu'il avait amoureusement conservées.

Joseph aurait pu perdre de vue définitivement la famille américaine, sa mère ayant préféré rester au Mans après le décès de Robert. Mais trente ans plus tard, alors que Marie-Thérèse s'était remariée, son regard s'était porté par delà l'Atlantique. Au début des années 80, après avoir retrouvé des adresses de Huter aux USA, il partait là-bas avec sa femme. "Nous avons renoué avec toute la famille. J'y suis retourné environ une fois tous les trois ans, j'ai parcouru des milliers de kilomètres à travers cet immense territoire où je me sentais comme chez moi"

Joseph m'avait alors offert un café. Le sien, il l'avait bu dans un mug décoré d'une bannière étoilée. Après quoi, je l'avais accompagné sur la tombe de son père, seul soldat américain inhumé au Mans dans le carré du Commonwealth de la Seconde Guerre Mondiale, au cimetière de l'Ouest, avec 98 autres soldats, aviateurs britanniques pour la plupart. Comme chaque année à pareille époque, Joe se préparait au pélerinage qu'il n'aurait manqué sous aucun prétexte, le cimetière américain de Coleville et ses milliers de croix blanches.

Philippe LAVERGNE

La sépulture de Joseph Huter aura lieu le jeudi 28 novembre à 15h15 au crématorium du Mans