Albertine Chalumeau n'est plus

C'est une grande figure de la Resistance en Sarthe qui a disparu le 5 aout 2017. Albertine Chalumeau avait 101 ans

 

C'est avec beaucoup de tristesse que l'AERIS a appris le décès d'Albertine Chalumeau, survenu le 5 aout 2017. L'association l'avait rencontrée pour ses 101 ans.

Née Eveilleau, Albertine vit le jour le 8 mars 1916 à Dissé sous le Lude dans une famille très modeste, élevée dans une ferme par ses grands parents. Elle fut très tôt confrontée à la vie dure de la campagne jusqu’à l’âge de 16 ans, où elle rencontra Marcel Royer, qu'elle épousa en 1933. La même année naquit une fille, Suzanne.

En 1937 la famille arriva au Mans et emménagea à la Cité des Pins rue Géo-Chavez. Marcel Royer devint chauffeur de car et Albertine rentra à la Cartoucherie. Elle sera plus tard receveuse dans les tramways.

Marcel Royer fut mobilisé au début de la guerre puis démobilisé en juillet 1940. Il n'admit pas l’Occupation et s’engagea  dans la Résistance dès octobre 40, où il intègra le réseau de renseignements « Jove » qui travaillait  directement avec la France Libre de De Gaulle. Ce réseau tiendra jusqu’aux arrestations d’avril-mai 1942. Condamnés, Marcel Royer et ses camarades seront fusillés le 28 juillet 1942 au Fort du Hâ près de Bordeaux.

Par la suite un groupe de résistants FTP organisa des attentats contre des militaires allemands et des collabos, à Nantes, à Brest et au Mans. L’ensemble du groupe fut arrêté les 8 et 9 mars 1943. L’enquête et les interrogatoires démontrèrent qu’ils avaient  été hébergés au Mans chez Albertine Chalumeau, Marie-Louise Gagnaire et  Adeline Chippart. Ces 3 femmes furent à leur tour arrêtées les 4 et 5 mai 1943 à leur domicile. 11 membres du groupe FTP furent passés par les armes le 1er juin 43 à Auvours. Les trois femmes furent condamnées aux travaux forcés. Classées NN, (Nuit et Brouillard) elles étaient censées disparaître en Allemagne.

Matricule 78244

Albertine fut internée au Vert Galant, transferée à Angers le 7 mai 1943, puis à Fresnes. A partir d'août elle connut différentes prisons allemandes (Aachen, Breslau…) avant d’être dirigée à Ravensbrück, où elle connut la faim, la soif, le froid, le réveil à 4 heures,  les appels interminables du matin et du soir par tous les temps, les douze heures de travail par équipe de jour ou de nuit,  surveillées par des Kapos prêtes à les battre si elles s’endormaient. Mais surtout elle connaîtra la déshumanisation. Portant le matricule 78244, elle devint un « objet » pour les Allemands.
Albertine resta à Ravensbrück jusqu’au mois de mars 1945. Le 4 mars 1945, alors que le système concentrationnaire nazi était  à l’agonie, elle fut dirigée sur le camp de Mauthausen dans un convoi qui mettra cinq jours et cinq nuits pour parvenir à destination, dans des conditions d’hygiène épouvantables. A leur arrivée, les femmes durent sortir les cadavres des wagons à bestiaux avant de gravir le chemin menant à la citadelle, au milieu des aboiements des chiens et sous les coups des gardiens

Parvenues devant une bâtisse, elles reçurent l’ordre de se déshabiller, la panique s’empara alors d'elles, car elles pensaient que leur dernière heure était arrivée. 

La vie de ce camp était encore pire qu’à Ravensbrück. Elles participaient à des corvées quotidiennes consistant surtout à déblayer les lieux bombardés par les Alliés. C’est dans cette sinistre citadelle qu’Albertine fut libérée un jour d’avril 1945.

Une opération baptisée « Autobus blancs » permit en effet de libérer au printemps 1945 27 000 déportés. Cette initiative vint d’un diplomate norvégien en place à Stockolm, Nils Christian Ditleff, qui obtint l’accord de la Croix Rouge et du gouvernement suédois. Des tractations eurent lieu entre le comte Bernadotte, Himmler et les SS. La Croix Rouge suédoise fut autorisée à aller chercher les 400 françaises classées NN à Mauthausen parmi 2000 femmes de différentes nationalités. Si les camions de la Croix Rouge n’étaient pas arrivés le 22 avril que serait-il advenu d’Albertine? L'ordre avait été donné d'éxécuter les détenues. 

Ce 22 avril Albertine Chalumeau vit donc arriver ces « Autobus Blancs », ces camions de la liberté, certainement
inconfortables pour des femmes si faibles, mais à même de les conduire vers la Suisse.

La frontière suisse

Alors que le convoi s’apprêtait  à franchir la frontière, il fut stoppé par des soldats de la Wehrmacht qui firent  descendre les passagères et les alignèrent devant une église. Ce fut à nouveau l’angoisse, avant qu'un contre ordre arrive de Berlin. Les négociations se poursuivirent sur place entre le représentant de la Croix Rouge et les officiers allemands. Finalement les femmes purent remonter dans les camions et parvinrent  en Suisse le 24 avril. Ce fut ensuite le centre de rapatriement d’Annecy, puis Lyon, le train vers Paris et l’arrivée à l'hôtel Lutétia.

Après deux ans d’absence Albertine arriva le 1er mai 1945 à Verneil-le-Chétif où elle retrouva sa fille Suzanne restée chez les beaux-parents. La vie reprit doucement après les soins nécessaires à son rétablissement. Albertine se remaria en 1947 avec Joseph Chalumeau. Elle reçut la Légion d’Honneur en 1976 des mains d’Adeline Chippart, sa camarade de Résistance.

Albertine Chalumeau a été actrice de cette période de l’Histoire, elle a fait partie de "L'Armée des Ombres".  Comme tous les déportés, elle n'a jamais pu se libérer définitivement de ses souffrances et de ses cauchemars.

Les obsèques d'Albertine Chalumeau ont été célébrées le jeudi 10 août  à 10h30 en l'église d'Aubigné-Racan.