DES LYCEENS DECOUVRENT L'ENFER DE MAUTHAUSEN
Du 7 au 12 avril, une trentaine d'élèves de 1ère et de Terminale des lycées Funay et Saint-Charles-Sainte-Croix du Mans, et André Malraux d'Allonnes, sont partis avec l'AERIS dans la région de Mauthausen en Autriche, où ils ont visité l'ancien camp de concentration nazi, ainsi que les annexes de Gusen et d'Ebensee. Les lycéens ont également découvert l'ex centre de mise à mort des handicapés aménagé dans le château d'Hartheim.
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Mauthausen. Une bien jolie petite ville de quelque 5000 habitants plantée sur la rive septentrionale du Danube, pas très loin de Linz, en Haute Autriche. Sur le fleuve majestueux devant lequel tant d'artistes ont rêvé, des bateaux de croisière chargés de touristes passent régulièrement devant les terrasses des cafés aux façades baroques. Dans le village, bien peu de choses témoignent de la présence de l'ancien camp de concentration perché sur la colline de granit, ouvert par le régime nazi en 1938, et par lequel passèrent plus de 198000 détenus, dont presque 120000 périrent. Si, quand même. Deux grandes vasques ornées de fleurs au printemps que la municipalité de l'époque, à la fin de la Seconde guerre mondiale, s'était empressée de récupérer dans les lavabos des baraques démantelées du camp...
Le site de Mauthausen pour la construction d'un nouveau camp avait été choisi par les Nazis en raison de la présence de la carrière de granit. Les premiers détenus qui travaillèrent à son édification arrivèrent du camp de Dachau. Jusqu'en 1939, ils construisirent les baraques et les quartiers des SS. Le camp fut ensuite agrandi au nord et à l'ouest pour accueillir le "camp russe" réservé aux Juifs hongrois et aux prisonniers de guerre russes, qui survivaient en plein air. Mauthausen était un camp de catégorie 3, la plus sévère, à savoir l'extermination par le travail. Toutes les activités étaient concentrées autour de la carrière et des camps annexes de Gusen, Melk et Ebensee
L'espace n'était clôturé au début que par une double rangée de barbelés électrifiés. Plus tard une muraille en pierres de granit parsemée de miradors entoura le camp, lui donnant l'allure de forteresse qu'il a toujours aujourd'hui. A partir de 1941, avec l'arrivée massive de détenus (Républicains espagnols, Polonais, soldats soviétiques...) les conditions de vie à l'intérieur devinrent infernales, avec une mortalité effarante. Un crématoire fut construit, en même temps qu'on aménagea une chambre à gaz et une salle d'éxécution par balle. En 1943 le camp comptait plus de 15 000 détenus. En 1944, arrivèrent plusieurs milliers d'opposants italiens et des Juifs évacués d'Auschwitz. Début 1945, 25 000 nouveaux détenus venant principalement de camps évacués furent entregistrés. En mars, plus de 2000 femmes arrivèrent de Ravensbrück, dont 600 Françaises classées "NN" (Nuit et Brouillard, en allemand Nacht und Nebel, signifiant "destinées à disparaître sans laisser de trace"). La mortalité atteignit alors des sommets. 40 000 prisonniers périrent en l'espace de quatre mois, au rythme de 600 par jour en avril. Des monceaux de cadavres s'entassaient ça et là , les fours crématoires ne suffisant plus à faire disparaître les corps.
L'Histoire racontée par Jean-Louis Roussel
En 2007 l'AERIS avait déjà organisé un voyage pédagogique à Mauthausen à l'intention de lycéens sarthois. Le groupe était alors accompagné d'un témoin direct, Henri Ledroit, âgé de 85 ans et qui avait raconté ce qu'il avait vécu dans les tunnels d'Ebensee. Dix ans plus tard, ils ne sont plus très nombreux ces rescapés de l'enfer pour apporter leur pierre à la construction de l'Histoire.
C'est Jean-Louis Roussel, professeur d'Histoire et vice-président du Comité international de Mauthausen, accueilli en novembre 2016 par l'AERIS au lycée Funay, qui a bien voulu cette fois tenté d'expliquer ce qu'était Mauthausen. A en juger par les visages des jeunes, sur lesquels ont parfois coulé quelques larmes, il y est remarquablement parvenu. Il a raconté la vie quotidienne dans cette forteresse de granit, où les détenus étaient privés de leur nom à partir de l'instant où ils franchissaient le portail, pour devenir un numéro, "ein Stück". Les réveils à 4h45, la violence gratuite, les coups de schlague, les heures interminables sur la place d'appel qui pouvait rassembler jusqu'à 4000 déportés, la faim, la maladie, les pendaisons, l'extermination des faibles et des malades dans la chambre à gaz, les fours crématoires qui fonctionnaient jour et nuit....
Des baraques de la "Quarantäne Hof" (l'espace de quarantaine réservé aux nouveaux arrivants) où les détenus devaient apprendre les règles dictées par les SS, et d'où chaque matin on retirait des cadavres, il ne reste aujourd'hui que des tombes au milieu d'une immense pelouse. Vaste cimetière où sont enfouis des restes humains et des cendres. Les croix sont chrétiennes, juives, musulmanes... Dans cet enclos, Jean-Louis Roussel a raconté le traitement réservé à un groupe d'officiers et de sous-officiers de l'armée russe arrivés au camp en février 1945. 300 d'entre eux étaient parvenus à s'évader en escaladant un mur surmonté de barbelés électrifiés sur lesquels avaient été jetées des couvertures trempées dans l'eau pour provoquer un court-circuit du système électrique. S'en était suivie une alerte générale communiquée à tous les villages alentours pour retrouver les évadés. La population autrichienne elle-même avait alors sorti les fusils pour aller à la "chasse aux lièvres". Il n'y eut que trois survivants qui échappèrent aux lynchages. Un seul resta en Autriche et ne se fit connaître qu'en 1990. Le 15 février 1945, pour prévenir une nouvelle tentative d'évasion à l'occasion d'une nouvelle arrivée d'officiers russes, les SS obligèrent les détenus à se dévêtir complètement et les aspergèrent d'eau. A l'extérieur la température était tombée à -12°. L'un d'eux gela sur place. Une statue toute blanche à l'extérieur du camp rappelle ce crime parmi les milliers qui furent commis ici. Détenus fusillés ou poussés dans les clôtures électrifiées, sans parler des assassinats systématiques des malades devenus bouches inutiles
Comme lors de chaque voyage pédagogique organisé par l'AERIS, les lycéens ont participé à une cérémonie d'hommage aux Sarthois passés par Mauthausen. Au monument français érigé à côté d'autres souvent imposants, ils ont déposé une gerbe à la mémoire des 66 Sarthois qui ne sont jamais revenus. Comme Florent Beaury, de Cérans Foulletourte, dont le petit-fils Benoît Lemonnier était là , autant ému que les plus jeunes. En cet instant, à quoi lui, pouvait-il bien penser?
Philippe LAVERGNE
N.B: Mauthausen fut libéré le 5 mai 1945 par la 11e Division blindée américaine qui découvrit un spectacle effroyable. 15000 corps jonchaient le sol, on les enterra les jours suivants dans des fosses communes. 3000 autres prisonniers moururent de maladie et d'épuisement les semaines suivantes.